Bühlmann toujours comme référence de calcul
L’étude que le professeur Albert A. Bühlmann engagea à l’Université de Zürich en 1958 avec Hannes Keller –professeur de mathématique et pionnier de la plongée profonde– eut un impact important sur la plongée à l’idée de pouvoir repousser les limites de profondeur grâce au mélange héliox (hélium + oxygène). Les tests qui permirent à ce dernier d’atteindre une profondeur de 122m au lac de Zurich en 1959, puis de 152m l’année suivante au lac Majeur, suscita non seulement l’intérêt des militaires, mais aussi du géant de l’industrie pétrolière, Shell, qui finança pendant 17ans ses recherches visant les plongées profondes à “saturation” pour les chantiers pétroliers offshore à plus de 100m de profondeur. Car il est question de système de plongée à saturation quand les gaz respirés se dissolvent à 100% dans l’organisme des plongeurs, non qu’une fraction en moins de douze heures, à l’idée de les maintenir plusieurs jours “pressurisés” –le temps des travaux– à la profondeur du chantier situé à l’aplomb du navire‑support de leur caisson‑habitat, avec “ascenseur pressurisé” (tourelle) pour s’y rendre, avant leur décompression que Bühlmann entrepris de calculer.
Profondeur record de -300 m
atteinte dans les années 60
En 1961, deux plongées fictives effectuées à quatorze jours d’intervalle en chambre hyperbare à Toulon (au GERS) et à Washington (US Navy) leur permirent de tester les mélanges et la décompression: 10min à 215m avec 140min de déco, et 15secs à 300m avec 31min de déco; record que H.Keller confirmera deux mois plus tard au lac Majeur (222m), puis l’année suivante, avec le soutien logistique de l’US Navy, au large de l’ile de Santa Catalina en Californie (5min à 305m + 270min de déco) lors d’une plongée dramatique qui, ayant couté la vie de son coéquipier, stoppa ses ambitions d’aller plus profond. À partir de 1964, des séries de tests d’exposition longues jusqu’à saturation commencent à être menés en chambre hyperbare 31ATA à Zürich. Après de nouvelles expérimentations avec la Royal Navy en 1969 (220 et 350m en caisson à Alverstoke), l’étape en milieu naturel fut seulement franchie en 1975 par la COMEX (327m au Labrador) et l’USNavy (340m en Atlantique).
Ses calculs toujours au cœur
des algorithmes actuels
Publiés en 1984, les calculs ZH‑L121 de ces plongées servirent de modèle pour la conception des tables suisses “Bühlmann 1986” de plongée à l’air en altitude, et allemandes Deco’92. Ils sont aussi à l’origine de l’algorithme ZH‑L6 du premier ordinateur Aladin (1987) que son concepteur suisse Uwatec, aujourd’hui filiale de Scubapro, modifia en 1995 (ZH‑L6 ⇨ L8) suite à la publication en 1990 des calculs révisés Bühlmann ZH‑L16 (seize compartiments de périodes T½ quelque peu différentes –de 2,65 à 635min pour l’azote, 1 à 240min pour l’hélium– avec la révision des gradients critiques); calculs sur lesquels, avec VPM et RGBM aujourd’hui, se basent toujours les logiciels de déco des plongées profondes, aussi comme algorithme au cœur des ordinateurs multigaz.
Avec des facteurs de gradient pour
allonger la décompression par sécurité
La différence, par rapport au modèle d’origine pour la décompression en caisson, est sa version ZH‑L16B ajustée aux conditions de plongée aux tables (les runtime), et la ZH‑L16C des ordinateurs avec le système de conservatisme par facteurs de gradient (GF) développé par Erik C.Baker. Les GF nous donnent la possibilité de régler différemment –de “durcir” en quelque sorte– les gradients de M‑values de chaque compartiment tissulaire en vue d’accroître la marge de sécurité avec des paliers démarrant plus profond si GFlow <100%, et en rallongeant la durée des derniers paliers si GFhigh <100%.
Quel GF utiliser? Le choix dépend des facteurs individuels (âge, poids et forme physique), des gaz utilisés, et de la sévérité de la plongée qui se juge sur la durée de la décompression. Certains ordinateurs proposent des valeurs de 20 à 50 pour le GFlow, et de 70 à 80 pour le GFhigh, à l’exemple de ce modèle réglé sur 50 /80 (50GFlow, et 80GFhigh). Il est important de les régler au besoin, de ne surtout pas se fier aux paramètres prédéfinis sur certains modèles, car souvent très différents! La référence est un GF50 /80 pour la plongée Trimix riche en azote (<30% d’He), et 80 /80 en situation de réchappe (GF de prudence pour la décompression avec ce mélange). Avec un mélange fond riche en hélium, il faut un GF20 /70 pour une plus grande marge de sécurité, et 30 /80 en réchappe. À la différence, un GF80 /80 suffit pour accroître la sécurité des plongées engagées à l’air ou Nitrox. Les réglages visant une sécurité plus renforcée paraissent totalement aberrants pour ces plongées.
Et quelques évolutions
pour les plongées à l’air ou Nitrox
Les algorithmes Bühlmann des ordinateurs grand public ont été extrapolés à partir des données ZH‑L16C qu’il a fallut ajuster aux plongées à l’air /Nitrox beaucoup moins longues et profondes qu’aux mélanges. Citons l’exemple de l’Uwatec ZH‑L8 (huit compartiments de 5 à 640min) patché “ADTMB” qui a fait le succès des ordinateurs Scubapro; de l’algorithme ZH‑L8+ de même parenté (mais chut!) du Suisse Uemis; de l’algorithme “avancé” ZH‑L16ADTMB des ordinateurs Scubapro aujourd’hui; de PelagicZ+ (douze compartiments de 5 à 480min)2 des ordinateurs AquaLung et Oceanic; et ZH‑L16 du premier ordinateur de plongée Garmin▇
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1.“ZH” pour Zürich et “L12” pour la modélisation de l’organisme en 16 compartiments munis de leur propre coefficient (a et b) de sursaturation, excepté le coef. commun aux 4 plus “longs” (de période).
2.Algorithme du Californien Pelagic Pressure Systems, fabricant OEM d’ordinateurs de plongée pour les plus grandes marques du marché, devenu une filiale du groupe AquaLung en 2015.
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